par Serge Braudo
Conseiller honoraire à la Cour d'appel de Versailles



Cass. civ. 1, 5 avril 2012, 11-11044
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Cour de cassation, 1ère chambre civile
5 avril 2012, 11-11.044

Cette décision est visée dans les définitions suivantes :
Avocat
Principe d'Immunité




LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 17 décembre 2010), que, chargé de la défense des intérêts des parents d'un mineur tué par un gendarme au cours d'une poursuite faisant suite à un cambriolage, M. X..., avocat, a été cité devant le conseil de discipline du ressort de la cour d'appel de Montpellier pour avoir, à l'issue de l'audience, fait la déclaration suivante au journaliste d'une station de radio l'interrogeant sur l'acquittement rendu : "J'ai toujours su qu'il était possible. Un jury blanc, exclusivement blanc où les communautés ne sont pas toutes représentées, avec il faut bien le dire une accusation extrêmement molle, des débats dirigés de manière extrêmement orientée. La voie de l'acquittement était une voie royalement ouverte. Ce n'est pas une surprise" ;

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de dire que les faits reprochés constituaient un manquement à la délicatesse et à la modération et de le sanctionner, alors, selon le moyen :

1°/ que les restrictions à la liberté d'expression d'un avocat, tant au cours que hors de l'audience, ne peuvent être qu'exceptionnelles ; que, par conséquent, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que les propos litigieux tenus en dehors du prétoire ne désignent aucun magistrat, ni une quelconque personne, mais le jury populaire ; qu'ils se limitent à un constat factuel et à l'expression spontanée d'une impression suscitée par la vive déception ressentie à l'annonce d'une décision très défavorable au client de M. X..., ce dans le délai d'appel du ministère public ; que dans ces conditions, les propos ont été tenus dans le cadre de l'exercice des droits de la défense du client de l'exposant et n'ont pas été tenus ad hominem, pas plus qu'ils ne manifestent une animosité personnelle de M. X... ; qu'en déclarant néanmoins qu'il avait manqué à son devoir de modération et de délicatesse, la cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 183 du décret du 27 novembre 1991 ;

2°/ que les restrictions à la liberté d'expression d'un avocat, tant au cours que hors de l'audience, ne peuvent être qu'exceptionnelles ; que, par conséquent, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que cela vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population ; que l'idée selon laquelle l'appartenance des jurés à un groupe déterminé, défini par sa couleur de peau différente de celle de la victime ait pu participer à leur décision, même si elle est susceptible de heurter ou inquiéter, ne présente aucune connotation raciale mais relève d'un débat d'intérêt général mené sur la base d'études sérieuses qui en légitiment l'expression, ce quand bien même elle n'aurait pas été exprimée selon un mode interrogatif ; qu'en déclarant néanmoins que M. X... avait manqué à son devoir de modération et de délicatesse, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

3°/ que le droit à une défense concrète et effective commande qu'il soit conféré à l'avocat la plus grande latitude de critique à l'égard de la décision de justice rendue tant au sein qu'en dehors du prétoire ; que dès lors, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que participe d'un tel débat l'opportunité de l'appel du ministère public, représentant de la société, contre les jugements répressifs ; que les propos poursuivis ont été tenus alors que le délai d'appel du ministère public n'était pas expiré, afin d'alimenter un débat, une réflexion et la prise de décision du ministère public ; que les propos s'inscrivant dans le cadre d'un débat d'intérêt général et de l'exercice des droits de la défense, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

4°/ que la gravité des circonstances de la cause et des questions en jeu, l'émotion et l'indignation suscitées par les faits confèrent une très grande latitude de critique à l'avocat des personnes intéressées pour critiquer, sans complaisance, une décision de justice ; que les propos ont été tenus en dehors du prétoire après l'annonce de l'acquittement de l'officier de police judiciaire impliqué dans la mort du fils du client de M. X..., partie civile ; qu'il ressort au surplus de l'arrêt attaqué que le procès intéressait vivement l'opinion publique, que la presse était présente, que quelques instants auparavant, des cris avaient fusé dans la salle d'audience, certains conspuant "une justice de merde" ; que ces circonstances de fait expliquaient les propos tenus par M. X... et l'autorisait à les tenir sans commettre une faute disciplinaire ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

5°/ que les propos litigieux, en ce qu'ils auraient concerné les magistrats et le parquet général de la Cour d'assises ne faisaient pas l'objet de la poursuite disciplinaire ; qu'en les retenant néanmoins la cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et violé les articles 22 et suivants de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 187 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

6°/ qu'en privant ainsi l'avocat de se défendre sur des faits retenus contre lui, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, que le grief tiré de la méconnaissance des limites de la saisine de la juridiction disciplinaire est irrecevable, faute de production de l'acte de poursuite ;

Et attendu, d'autre part, qu'après avoir exactement énoncé qu'en dehors du prétoire, l'avocat n'est pas protégé par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a estimé que les propos poursuivis présentaient une connotation raciale jetant l'opprobre sur les jurés et la suspicion sur leur probité, caractérisant ainsi un manquement aux devoirs de modération et de délicatesse ; qu'en prononçant à l'encontre de l'avocat un simple avertissement, elle a, sans encourir aucun des autres griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X...;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par dla SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. X...

Le moyen fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que les faits reproché constituaient un manquement à la délicatesse et à la modération et d'AVOIR prononcé un avertissement à l'encontre de Maître X...;

AUX MOTIFS QU'en dehors du prétoire, l'avocat n'est pas protégé par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et la mesure appropriée de sa liberté de parole n'est plus appréciée par rapport aux nécessités de l'exercice des droits de la défense, mais seulement par rapport à la liberté d'expression ; que la nécessaire protection dont, sur le fondement de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme consacrant le droit à cette liberté d'expression, l'avocat doit jouir en qualité d'intermédiaire entre le justiciable et le tribunal, ou de porte-parole de son client, n'est pas illimitée ; que dans l'intérêt de la justice, un juste équilibre doit être trouvé entre cette liberté et la nécessité de garantir l'autorité du pouvoir judiciaire en évitant de le discréditer ; que les déclarations reprochées furent tenues en public, au sein du palais de justice, mais hors de tout débat judiciaire, alors que le verdict était connu et l'audience terminée ; que les propos en cause ne furent donc pas tenus devant une juridiction, mais devant la presse, étant évident pour maître X... qu'ils auraient une large publicité dans la mesure où le procès intéressait vivement l'opinion publique ; qu'en outre, il résulte du compte-rendu de France 3 Sud, relaté dans le rapport d'enquête disciplinaire, qu'à l'annonce de l'acquittement de l'accusé, des cris ont fusé dans la salle d'audience, certains conspuant « une justice de merde » ; que dans un tel contexte, il incombait à Maître X... de faire preuve de circonspection ; que tous les jurés étant citoyens français et faisant partie d'une même communauté française, le fait d'invoquer précisément et exclusivement leur couleur de peau ne concerne pas leur origine sociale ou nationale, mais renvoie à l'origine raciale, la précision que toutes les communautés ne sont pas représentées ne faisant qu'expliciter qu'il manquait dans le jury des communautés d'autres couleurs que la communauté blanche ; que les membres du jury faisant partie de la Cour d'Assises, composée de trois magistrats professionnels et de neuf jurés populaires, ceci revient à discréditer l'ensemble de la juridiction et par voie de conséquence l'institution judiciaire elle-même en ne faisant aucun cas des trois autres membres de la Cour d'Assises, ni surtout de la collégialité qui a justement pour objet d'éviter la partialité et d'offrir une meilleure garantie procédurale ; que le terme de « blanc », utilisé de manière affirmative et répétitive, sans qu'il soit question d'ouvrir un débat ou une réflexion puisque Maître X... affirme sans poser quelque interrogation que ce soit, avoir toujours su que l'acquittement était possible et qu'il n'est pas une surprise, présente une connotation raciale jetant l'opprobre et la suspicion sur la probité des jurés ; que ceci ne respecte pas le juste équilibre nécessaire ; qu'il n'est pas utilement soutenu que ces propos participent de l'exercice des droits de la défense car ils avaient pour objet de peser sur la réflexion du Parquet Général de la Cour d'Appel de Nîmes et sur sa décision de relever appel ; que Maître X... ne faisait que répondre à la question spontanée d'un journaliste tendant exclusivement à savoir s'il s'attendait tout de même à ce verdict et le craignait, sans que fussent abordées les possibilités de recours ; que les principes déontologiques de modération et de délicatesse ne sont pas limitées aux relations inter personnelles mais s'appliquent dès lors que l'avocat agit dans l'exercice de sa profession ; qu'ils n'ont pas été appliqués en l'espèce dans l'utilisation de la liberté de parole, pour les motifs susvisés ; que la nature et le degré de gravité des faits reprochés ne justifie d'appliquer que la peine disciplinaire de l'avertissement ;

ALORS d'une part QUE les restrictions à la liberté d'expression d'un avocat, tant au cours que hors de l'audience, ne peuvent être qu'exceptionnelles ; que, par conséquent, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que les propos litigieux tenus en dehors du prétoire ne désignent aucun magistrat, ni une quelconque personne, mais le jury populaire ; qu'ils se limitent à un constat factuel et à l'expression spontanée d'une impression suscitée par la vive déception ressentie à l'annonce d'une décision très défavorable au client de Maître X..., ce dans le délai d'appel du ministère public ; que dans ces conditions, les propos ont été tenus dans le cadre de l'exercice des droits de la défense du client de l'exposant et n'ont pas été tenus ad hominem, pas plus qu'ils ne manifestent une animosité personnelle de Maître X... ; qu'en déclarant néanmoins qu'il avait manqué à son devoir de modération et de délicatesse, la Cour d'appel a violé les articles 6 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 183 du décret du 27 novembre 1991 ;

ALORS d'autre part QUE les restrictions à la liberté d'expression d'un avocat, tant au cours que hors de l'audience, ne peuvent être qu'exceptionnelles ; que, par conséquent, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que cela vaut non seulement pour les idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population ; que l'idée selon laquelle l'appartenance des jurés à un groupe déterminé, défini par sa couleur de peau différente de celle de la victime ait pu participer à leur décision, même si elle est susceptible de heurter ou inquiéter, ne présente aucune connotation raciale mais relève d'un débat d'intérêt général mené sur la base d'études sérieuses qui en légitiment l'expression, ce quand bien elle n'aurait pas été exprimée selon un mode interrogatif ; qu'en déclarant néanmoins que Maître X... avait manqué à son devoir de modération et de délicatesse, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;

ALORS encore QUE le droit à une défense concrète et effective commande qu'il soit conféré à l'avocat la plus grande latitude de critique à l'égard de la décision de justice rendue tant au sein qu'en dehors du prétoire ; que dès lors, seuls sont répréhensibles les propos adressés ad hominem et manifestant exclusivement une animosité personnelle, sans traduire une idée, une opinion ou une information susceptible d'alimenter une réflexion ou un débat d'intérêt général ; que participe d'un tel débat l'opportunité de l'appel du ministère public, représentant de la société, contre les jugements répressifs ; que les propos poursuivis ont été tenus alors que le délai d'appel du ministère public n'était pas expiré, afin d'alimenter un débat, une réflexion et la prise de décision du ministère public ; que les propos s'inscrivant dans le cadre d'un débat d'intérêt général et de l'exercice des droits de la défense, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;

ALORS ensuite QUE la gravité des circonstances de la cause et des questions en jeu, l'émotion et de l'indignation suscitées par les faits confèrent une très grande latitude de critique à l'avocat des personnes intéressées pour critiquer, sans complaisance, une décision de justice ; que les propos ont été tenus en dehors du prétoire après l'annonce de l'acquittement de l'officier de police judiciaire impliqué dans la mort du fils du client de Maître X... , partie civile ; qu'il ressort au surplus de l'arrêt attaqué que le procès intéressait vivement l'opinion publique, que la presse était présente, que quelques instants auparavant, des cris avaient fusé dans la salle d'audience, certains conspuant « une justice de merde » ; que ces circonstances de fait expliquaient les propos tenus par Maître X... et l'autorisait à les tenir sans commettre une faute disciplinaire; qu'en décidant du contraire, la Cour d'appel a violé les textes susvisés ;

ALORS surtout QUE les propos litigieux, en ce qu'ils auraient concerné les magistrats et le Parquet Général de la Cour d'Assises ne faisaient pas l'objet de la poursuite disciplinaire ; qu'en les retenant néanmoins la Cour d'appel a excédé les limites de sa saisine et violé les articles 22 et suivants de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et 187 et suivants du décret no 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;



QU'en privant ainsi l'avocat de se défendre sur des faits retenus contre lui, la Cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.



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Décision extraite de la base de données de la DILA (www.legifrance.gouv.fr - mise à jour : 09/05/2018) conformément à la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016.